La vie d'une femme, la connaissez-vous?
- Stéphanie Perreault
- 28 févr. 2016
- 4 min de lecture

Le 29 février 1924, à une heure du jour ou de la nuit, une tempête digne de nos pires climats québécois soufflait sa rage sur la Matawinie. Un homme d’un certain âge, fort de son devoir, criait hue et dia, encourageant son fidèle compagnon alors que tous deux s’étaient égarés entre ciel et terre, ne sachant plus si le prochain pas les éloignait ou les rapprochait d’une parturiente à assister. Ses efforts ne furent pas vains, car l’homme put ainsi déclarer la naissance de la petite Marie-Ange en bonne et due forme.
La jeune fille fit la joie de ses parents, Marie-Flore Barthe et Azarie Ménard, qui chérirent sa présence et l’aide qu’elle pouvait leur apporter. Aidante comme il était de mise à l’époque, elle remplissait la réserve de bois près de l’escalier à l’entrée tous les matins avant même de partir pour l’école. Avant qu'elle atteigne ses dix ans, Monsieur et Madame Ménard perdirent plusieurs enfants en bas âges, rendant Marie-Ange d’autant plus précieuse à leurs yeux.
Alors qu'elle n'était âgée que de trois ans, les anges approchèrent la fillette de trop près… Atteinte de dysenterie, Monsieur et Madame virent le médecin recouvrir la tête de leur chère petite du drap qui couvrait habituellement son paisible sommeil, geste annonçant l’échéance finale. Comment pouvait-on les ravir à nouveau d’un enfant, à un âge si tendre, une qu’ils avaient eu le temps de chérir, de surcroît?
Le curé avait prononcé les derniers sacrements; mais il avait encore des cartes à jouer, monsieur le curé!
- Monsieur, Madame, peut-être pourriez-vous faire un échange avec le bon dieu contre la vie de votre fille. Dieu est bon… Il vous entendra…
Monsieur promit de renoncer à son flacon. En digne homme, il était temps pour lui de quitter sa vie de garçon.
Madame fit serment de consacrer sa petite Marie-Ange à la Vierge et que jusqu’à ce qu’elle atteigne l’âge de raison, elle ne la vêtirait que de bleu et de blanc.
Monsieur le curé releva lentement le drap du visage de l’enfant, et les parents virent leur fille qui les regardait, souriante, sauvée. Dieu les avait entendus! Dieu était grand!
Marie-Ange grandit en beauté et en santé. Toujours aussi travaillante, on l’employa sur la terre à tabac de son oncle Josaphat : accrocher le plant de la serre…déterrer les feuilles…sarcler…cosser…attacher… passer les lourds paquets de feuilles par-dessus la tête…mettre les lattes…Ah! Tout un travail pour une jeune fille, surtout une qui ne mangeait pas pour la peine.
Son dur labeur rapportait 12,00$ par semaine, ce qui payait l’épicerie familiale, et le reste…qui étanchait la soif du vieux père qui avait été trop faible pour tenir une promesse au bon Dieu…
Marie-Ange ne qualifiait pas sa jeunesse des plus heureuses. Elle faisait preuve de coquetterie, sans être fille qui se mire, attirant et fréquentant quelques garçons mais les tenant à distance du foyer familial, jusqu’à ce qu’un soit digne de tout connaître…
Albert Bourret! (Bourré...un jour je vous raconterai…)
Le matin du 20 juin 1942, suite à deux ans de fréquentations, Marie-Ange et Albert se sont promis la vie, à travers la maladie et la santé, la tristesse et le bonheur. Marie-Ange devait lui arracher une promesse supplémentaire, toutefois, avant de passer devant Monsieur le curé :
-Le flacon, tu l’abandonnes avec ta vie de garçon. Sinon, je serai femme qui chicane!
Preuve n’est plus à faire de la promesse d’Albert…
Marie-Ange avait crocheté des tapis tout l’hiver afin de pouvoir s’offrir une jolie robe pour le grand jour, celui où elle se donnerait à l’homme qui s’était montré à la hauteur. Bien des économies et bien des achats avaient été faits pour assurer le nécessaire visant à meubler leur premier foyer. Leur voyage de noce, en ville, servit à se procurer les derniers éléments : une cuvette, une planche à laver, de la coutellerie, et tout le tintouin. Le tout fut rapporté au 829, rue Lanaudière, à Joliette.
À l’époque, Albert travaillait pour le Garage Savignac. Leur petit nid fut rapidement envahi par des parents qui devaient être logés, et leur propre arbre commença à bourgeonner. Le premier de leurs onze enfants naquit le 16 avril 1943, dix mois après leurs noces.
Mon grand-père et ma grand-mère, je les ai toujours connus demeurant au 280, chemin Joliette, à St-Félix-de-Valois. Mon grand-père, il travaillait chez Ciment Indépendant.
Mes oncles Marcel, Jean-Guy et Denis, ils vivaient « en Ontario », où ils avaient choisi de travailler pour des usines d’automobiles et de prendre femme. Denis s’est éteint suite à un long combat contre la maladie.
Jean-Marie aussi y était allé en Ontario, mais lui, il en était revenu et travaillait chez Firestone. Mon oncle Alain, lui, il travaillait avec grand-père, chez Ciment Indépendant.
Ma mère, Diane, elle le dit souvent, elle est née dans la petite chambre du rez-de-chaussée, la chambre des parents. La maison de mes grands-parents n’est plus… Diane est éditrice législative au ministère de la Justice à Ottawa et demeure à Gatineau.
Ma tante Dorice est restée ici et a longtemps eu un dépanneur, Jado, à St-Félix. Pierre, lui, il a demeuré chez nous un bout de temps, apprenti sous mon père, avant de devenir électricien. Il en a charmé plus d'une! Il s’est éteint subitement en mars dernier…
Lucie, elle va et elle vient. Elle est à Montréal.
Les jumelles… Carolle est préposée aux bénéficiaires et n'a jamais quitté le coin. Carmen, le petit feu d’artifice, a toujours travaillé au service à la clientèle et a toujours demeuré dans la région.
Grand-père Albert n’est plus. Il s’est éteint le 26 novembre 1986. Ma grand-mère a enterré son mari, et deux de ses enfants ces dernières années, terrible douleur, c’est peu dire… Mais grand-mère, elle avait le rire franc, celui qui remontait du plus profond des entrailles, et un sourire des plus éclatants, un sourire qui faisait remonter les joues et disparaître les yeux tellement il prenait de l’ampleur. Les anges sont venus la chercher le 10 mars 2016 à 11h45. Ses filles cadettes, les jumelles, l’avaient mise belle pour Albert qui l’attendait.
Avoir le temps, je prendrais le temps de vous la raconter, ma grand-mère…
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