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Extrait

 

                                               L'héritage de Nazareth

 

Anita, gagnée d’épuisement, s’était résolue pour elle et ses enfants et avait fini par accepter l’offre généreuse qu’on lui faisait. Toutefois, une fois embarquée dans la carriole avec ses petits, mille fois elle avait voulu leur demander de la ramener en arrière, de ne pas les emmener loin de tout ce qu’elle connaissait. Mais elle n’avait nulle part où aller, et puis cette femme lui semblait si prévenante et si volontaire qu’elle ne trouva plus rien à lui opposer de refus. Elle se rongeait les sangs à se demander ce qui adviendrait d’eux maintenant qu’Alfred avait peut-être définitivement disparu. Elle ne pouvait imaginer qu’elle aurait à vivre de la charité des gens pour le reste de ses jours car elle n’était pas de celles qui acceptaient aisément de dépendre de quiconque. Elle passait ses mains dans les chevelures de ses enfants, laissant les mèches fines glisser entre ses doigts ; gestes qui lui rappela les fils qu’elle avait souvent tirés lorsqu’elle avait étudié auprès des religieuses parmi d’autres jeunes filles. On lui avait appris à broder de jolis motifs qui orneraient des mouchoirs, des linges de maison, des coussins et un tas d’autres choses encore.

 

Les sÅ“urs lui avaient aussi appris à faire des bonbons au couvent lorsqu’il avait été le moment de faire des levées de fonds pour les pauvres. Pour les pauvres…elle faisait maintenant partie de ces gens, car son mari avait été commerçant et leurs économies avaient été utilisées pour l’ouverture de la cordonnerie. Leur logement avait été situé dans le même édifice, au deuxième étage et à l’arrière de la boutique, ce qui lui permettait de servir les clients lorsqu’elle entendait sonner. L’atelier situé dans la cour avait permis à son mari de travailler à la confection et à la réparation de chaussures tout en étant tout près pour répondre à la clientèle si le besoin se présentait. Anita avait aimé l’indépendance que ce mode de vie lui avait permis, car son mari ne regardait pas par-dessus son épaule et se fiait à son jugement. Elle gérait son foyer et la boutique comme elle l’entendait et lui, il travaillait à l’écart sans avoir à se faire de soucis ; pour cela, elle devait lui faire honneur. Ils avaient formé une belle équipe, ce qui, elle en était consciente, était tout à fait hors de l’ordinaire.

 

Combien de temps se sentirait-elle déroutée par son absence ? Elle savait qu’elle saurait continuer, elle le devait pour leurs enfants, et elle le lui devait, à lui, en l’honneur de sa mémoire et de ce qu’ils avaient solidement bâti ensemble. À l’instant une douleur terrible lui déchira la poitrine, mais elle ne voulait rien manifester et se montrer forte. Elle ne se permettrait de laisser aller ses larmes que lorsqu’elle se retrouverait seule, mais pas avant ; cette souffrance devait rester seulement sienne.

Lorsqu’ils arrivèrent près du village, le paysage se dévoila devant elle. La rivière s’élargissait à cette hauteur pour presque former une baie et le soleil se miroitait sur les flots, dessinant d’étranges stries mouvantes en surface. Les arbres étaient toujours dénudés de feuilles, mais au sol, on voyait de jeunes pousses vert tendre pointer déjà leurs petites têtes à travers les feuillages d’automne épars, que le vent n’avait pas emportés et la terre pas encore absorbés. L’air était frais et sentait le sucre qui caramélise lorsqu’ils croisèrent le magasin général où on se doutait que madame Lafortune devait produire de la tire afin de réconforter les plus jeunes arrivants.

 

Anita croyait qu’on allait s’arrêter au village, mais à sa surprise, ils continuèrent leur chemin et lorsqu’elle constata que les maisons s’espaçaient, elle comprit qu’elle serait logée sur une ferme. La transition serait encore plus difficile sûrement qu’elle ne l’avait d’abord anticipée. Ils tournèrent vers la droite et elle réalisa que si elle s’était à l’instant attendue à être accueillie sur une ferme, ce qu’elle vit était loin de l’image qu’elle s’en était faite. En contrebas, on apercevait ce qu’elle crut être la totalité de la propriété tellement la superficie en était immense. Des clôtures commençaient à la route, longeaient un chemin qui menait vers la maison principale, une très grande demeure à plusieurs pignons avec une galerie qui en faisait le tour, ainsi que des bâtiments qui semblaient être modernes tellement ils étaient en bon état. Lorsqu’ils arrêtèrent les chevaux près de la maison, Anita remarqua que la peinture qui recouvrait les planches de la maison, les moulures et la galerie, était impeccable, comme tout ce qui l’entourait, d’ailleurs, ce qui l’étonna beaucoup compte tenu du fait qu’elle se trouvait en pleine campagne. Elle entendit des cris joyeux venir de l’intérieur et lorsqu’elle tourna son regard en direction de leur provenance, elle constata que bon nombre de chaises, dont certaines berçantes, étaient alignées sous le porche. Mais ce qui attira surtout son attention fut le fait que plusieurs d’entre elles étaient de modèle réduit, en plus de côtoyer des chevaux de bois, qui eux aussi étaient parfaitement rangés comme s’ils avaient été attelés.

 

Anita leva les yeux vers la porte et vit qu’on l’observait ; une femme retenait ses enfants, elle en compta six, la plupart plus grands que les siens. Un homme vint la rejoindre prestement et regarda Anita à son tour. Il se tourna vers sa femme en essuyant ses mains sur un linge, la questionna du regard un court instant, puis sourit. Ce fut elle qui vint vers les nouveaux venus :

 

- Bonjour Madame, on vous attendait. S’il vous plaît, faites comme chez vous !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Extrait, L'héritage de Nazareth
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